Voix immortelle
(Cross-over
entre Yami no Matsuei et La petite sirène)
Titre : Voix immortelle
Auteur : Natth
Chapitre : Histoire complète
Genre : PG-13
Couple : Je vous laisse découvrir…
Disclamer : Les personnages appartiennent à Matsushita Yoko et à Hans
Christian Andersen. petite
Voix immortelle
Dès le début, il n’y a eu que ta voix. Dès ce
jour, si ancien, où ton désespoir t’a fait oublier toute prudence et t’a donné
la force d’entrer dans ma maison.
Je vivais depuis longtemps recluse, loin de
toute cette société ondine que je méprisais. J’avais construit ma légende
effrayante, celle d’une sorcière cruelle aux multiples pouvoirs, ce qui m’a
permis de vivre jusqu’à mes deux cent cinquante ans dans la tranquillité. Et le
silence…
Je savais déjà ce que tu souhaitais. Tu rêvais
de conquérir l’amour de ce prince, un amour assez fort pour lier vos esprits et
faire que cet homme veuille être uni à toi devant Dieu. Car seul un mariage
avec un humain pouvait te donner l’âme immortelle que tu espérais. Je n’avais
aucune envie de t’aider.
Mais dès que j’ai entendu ta voix, elle m’a
envahie. Elle m’a charmée comme elle envoûtait tous ceux qui t’écoutaient lors
de ces longues fêtes, et qu’elle perdait dans un rêve éveillé. D’un seul coup,
cette demeure lugubre faite d’ossements de marins noyés est devenue le palais
de nacre où vivaient les sirènes fées qui, dit-on, ensorcelaient les marins par
leur chant.
Et dire que tu rêvais d’une âme immortelle !
Aucune âme humaine n’aurait pu être plus lumineuse, ni plus forte que ta voix.
Elle était ton âme et ouvrait chaque soir les portes du paradis à tous les
ondins. Mais cette lumière, j’ai décidé de la garder pour moi.
D’ailleurs, pauvre inconsciente, tu ne
semblais guère y tenir. Ton esprit était tout entier habité par ton prince.
Lui, tu le trouvais plus beau que le reflet du soleil sur l’eau, et peu
t’importait qu’il soit plus bête qu’une moule et plus coulant que l’écume. Mais
t’en étais-tu seulement rendue compte ? Tu étais si naïve à l’époque.
J’ai donc accepté de t’aider à séduire ton
prince. J’ai remplacé ta belle queue de poisson par ces deux longs morceaux de
chair rosâtre que les hommes appellent jambes. En échange, j’ai exigé ta voix,
que tu as à peine hésité à me donner. J’ai coupé ta petite langue rose et je
l’ai mélangée au philtre qui devait te permettre de devenir humaine. Tu as cru
devoir sacrifier ton plus grand charme pour avoir le droit de vivre sur terre.
En fait, je t’ai trompée, je n’avais pas
besoin de ta voix pour fabriquer ce philtre. D’ailleurs je ne l’ai pas utilisée
pour cela, je l’ai cachée très soigneusement et j’ai assisté, amusée, à ton
échec.
Cela n’a pas été très long. Ce prince n’a
jamais eu plus d’affection pour toi que pour une petite sœur. Lui aussi était
un grand rêveur : il désirait ardemment retrouver la jeune fille qui,
croyait-il, l’avait sauvé d’un naufrage. Ce pauvre imbécile n’avait même pas
trouvé étrange d’avoir pu rejoindre la rive après avoir failli se noyer en
pleine mer.
Il a toujours ignoré que c’est toi qui l’avais
sauvé, et pour ton malheur, il a retrouvé la jeune fille qu’il aimait. Leur
mariage était ta sentence de mort, car si le prince en épousait une autre, je
t’avais condamnée à disparaître comme écume de mer le lendemain de leurs noces.
Ce qui s’est passé ensuite, je l’avais aussi
prévu. Tes sœurs, connaissant ton amour pour ce prince et ayant appris l’échec
de ta médiocre tentative de séduction, sont venues me voir. Ta sœur aînée m’a
suppliée pendant des heures, elle m’a offert tous les trésors de votre père le
roi, m’a promis qu’il ferait tout ce que je lui demanderais si j’acceptais de
te sauver, et, me voyant inflexible, a proposé de sacrifier sa vie pour sauver
la tienne.
Je n’avais jamais vu un être aussi désespéré,
j’étais d’ailleurs stupéfiée de son attitude. J’avais capté chez toi quelques
images mentales de ton aînée, et, en dehors de l’affection profonde qui vous
liait, je n’ai vu qu’une fille brune un peu niaise qui faisait des caprices et
se gavait de crabe pendant les festins. Sa souffrance donnait à sa voix une
intonation exquise, et l’envie de dévorer cette musique fut si forte que je
faillis l’embrasser.
Cependant, quoi qu’elle dise ou qu’elle fasse,
je savais qu’il était trop tard pour toi. Pour me débarrasser d’elles, je leur
ai offert, en échange de leurs chevelures, un poignard avec lequel tu devrais
tuer le prince. Un seul de vous deux devait mourir, et s’il avait disparu, tu
aurais pu reprendre ta vie de sirène. Mais je savais déjà que tu ne le tuerais
pas. Je n’ai pas eu besoin de mes dons de voyante pour l’apprendre, il m’avait
suffi d’écouter ta voix.
Elle était en moi désormais, je l’avais
absorbée, je ne pouvais plus vivre sans elle. Sous son influence, mes pouvoirs
s’étaient développés plus que je n’aurais pu l’espérer, mais surtout, je
ressentais une chaleur, une présence en moi qui m’émerveillait. Peut-être
était-ce cela avoir une âme.
J’ai donc assisté sans surprise à ta
dissolution dans l’océan. Et j’ai vécu les trois cents années suivantes dans un
bonheur ineffable. J’ai senti cette force s’attacher un peu plus à moi de jour
en jour, me donnant l’impression d’être habitée par une énergie nouvelle. Et ce
n’était pas qu’une impression, sinon comment expliquer que ces trois cents
années de bonheur aient débuté après deux cents cinquante années de vie… alors
qu’aucun ondin, aucune sirène ne pouvait vivre plus de trois cents ans ?
J’ai vécu ces années dans l’insouciance,
ignorée de tous (car personne ne pensait que je pouvais être encore en vie), jusqu’à
ce jour terrible, le jour où tu as enfin obtenu une âme immortelle.
Car si, grâce à ta voix, j’avais pu prévoir
toutes tes actions lors de ton existence, j’ignorais ce qui avait pu advenir de
toi après la mort. J’ignorais que tu avais rejoint les filles de l’air, et
qu’après trois cents ans de bonnes actions auprès des humains, on t’avait enfin
donné une âme humaine. Et malheureusement je ne m’étais pas trompée : ta voix
était bien ton âme, et cette voix qui était tout mon bonheur, ce jour-là, on… TU
me l’as enlevée.
Je suis encore incapable aujourd’hui d’évoquer
le désespoir qui m’a envahie, cette brûlure puis ce vide insupportable,
incompréhensible, car j’ignorais pourquoi tu me quittais. Puis j’ai ressenti ce
désir violent de dévorer, de me remplir de nouveau de ta voix, et j’ai juré que
je ferais tout pour la retrouver.
À cette époque, mes pouvoirs de sorcière
étaient devenus immenses et je tentais de m’en servir pour essayer de localiser
ta présence, ou plutôt celle de ton âme, où qu’elle soit. Les années ont passé
sans que je n’en trouve aucune trace. Puis un jour, j’eus la joie de ressentir
cette chaleur familière, mais tellement faible, dans un des pays de ce monde,
le Japon. Aussi, bien que cela m’ait profondément répugnée, je me suis transformée
en humain.
Comme j’ignorais si tu te rappelais de moi,
j’ai pris une apparence très différente. Je suis devenue un homme, j’ai choisi
de m’appeler Muraki Kazutaka. Travailler en tant que médecin à l’hôpital de
Tokyo me permettait de rencontrer de nombreuses personnes, parmi lesquelles
j’espérais un jour te retrouver. De plus, c’était un emploi bien payé.
Cependant l’intérêt principal de ce métier était ailleurs.
Je n’avais jamais approché d’être humain
auparavant, mais dès que je reçus mon premier patient, que je perçus la douleur
et l’angoisse que lui causait sa maladie, je me rendis compte que toutes ces
émotions entraînaient son âme vers moi pour qu’elle m’envahisse, me réchauffe,
comme le faisait jadis ta voix.
Ravi de cette découverte, je me mis à
travailler dur. Je soignais quasiment deux fois plus de patients que mes autres
collègues et je ne quittais pratiquement pas l’hôpital. J’y dormais le plus
souvent, et la nuit je plongeais dans les rêves d’une de ces âmes. J’étais très
heureux, mais ta voix me manquait toujours. Je ne parvenais pas à te localiser
précisément, et j’espérais qu’un jour tu viendrais dans cet hôpital, malade ou
blessée de préférence. L’idée que ta voix pourrait m’approcher comme les âmes de
tous ces gens me comblait de joie.
Malheureusement, tu n’es jamais venue et j’ai
commencé à souffrir de mon métier. Grâce à mes pouvoirs magiques, pratiquement
tous les gens que je recevais repartaient guéris. J’étais toujours un peu
triste qu’ils me quittent, mais je gardais en moi une partie de leur voix. Tant
qu’ils étaient sur terre. Car de ceux qui mouraient, il ne me restait rien.
Je sentais leur âme partir, me glisser entre
les doigts, quoi que je fasse pour la rattraper. Je la ressentais jusqu’à ce
qu’elle quitte leur corps, et d’un seul coup un vide effrayant, le même qui
m’avait torturé lors de ton départ, m’étouffait. À chaque fois j’enrageais, je
les maudissais. Comment pouvaient-ils me quitter ? Ils n’avaient pas le droit
de s’en aller, ils m’appartenaient, j’avais absorbé leur âme, elle était à moi
maintenant, je ne voulais pas qu’on me la reprenne. Ils partaient vers un
ailleurs dont je me fichais complètement et dont, hélas, je ne percevais rien.
Je ne pouvais plus supporter cette situation.
La seule manière d’éviter de perdre ces âmes étaient d’empêcher leurs corps de
mourir. Mais je n’étais pas assez fort pour tous les sauver. Cependant, depuis
mon arrivée sur terre, depuis que je me repaissais de toutes ces voix, mes
pouvoirs s’étaient encore développés. Je compris alors que soigner les humains
n’était pas suffisant, leurs voix ne me possédaient pas complètement, ne me
donnaient pas assez de puissance.
J’ai alors dû commencer à les torturer. Je les
agressais physiquement ou les manipulais mentalement, et leur terreur, leur
souffrance rejetaient si violemment leur âme en moi que je ne ressentais
presque plus le vide causé par leur mort. Je parvenais même à conserver les
âmes les plus faibles. Et un soir, en massacrant soigneusement la forme
extérieure d’une d’entre elles, ta voix m’a de nouveau envahi. J’ai su que tu
étais là, que tu me regardais. Et que, pour ma plus grande joie, tu étais
horrifiée.
Je me suis emparé de toi, au propre comme au
figuré. Comme moi, tu étais devenue un garçon. J’ai saisi dans ton esprit ton
nom actuel, Kurosaki Hisoka, mais je me suis surtout rendu compte que tu ne
rappelais pas de ta vie de sirène. Je ne m’en suis pas soucié, je me suis gorgé
de ton âme, et j’ai découvert le pouvoir immense que tu possédais. J’ai alors
essayé de te l’arracher, je me suis acharné longtemps, mais j’ai échoué. Et si
ta voix était assez forte pour me résister, ton corps n’a pas survécu à ce
traitement.
De nouveau tu t’es éloigné, mais tu m’avais
laissé assez de ta voix pour que, cette fois-ci, je ne te perde plus. Chez moi,
je suis resté assis sur le sol, dans le noir, à suivre ton âme. Cette traque a
duré pendant des jours, peut-être des mois. J’ignore si tu étais conscient de
ma présence quand tu as finalement atteint le monde des Shinigami.
Quoi qu’il en soit, mon esprit te suivait, et
a eu la surprise de croiser une autre vieille connaissance : ta chère sœur
aînée qui, comme toi, s’était transformée en homme et portait maintenant le nom
de Tsuzuki Asato. Il était lui aussi complètement amnésique. Ces coïncidences
ont fini par m’intriguer et j’ai tenté d’approcher son âme. Cependant, au
moment où j’y parvenais, une formidable énergie a rejeté mon esprit sur terre.
Blessé, à demi assommé, j’ai mis un certain
temps à comprendre ce qui s’était passé. En fait, c’est de Tsuzuki qu’émanait
cet énorme pouvoir. Je n’étais même pas sûr qu’il ait eu conscience de ce qui
s’était passé (quelle que soit son identité, il était toujours aussi tête en
l’air). Mais moi, je savais maintenant où prendre la force dont j’avais besoin,
et j’avais gardé assez de la douce voix de Tsuzuki pour avoir appris ce qui
vous était arrivé après votre première mort.
Morte à quinze ans, tu avais erré pendant
trois cents ans avec les filles de l’air, voulant te rendre digne de ta future
âme humaine. Tu n’espérais plus revoir ta chère famille ondine quand, quelques
années seulement après ta mort, tu as été rejointe par ta sœur aînée adorée.
Celle-ci n’avait pu supporter ta disparition et s’était suicidée en se jetant
au milieu d’un groupe de requins en chasse. Comme toi, elle avait beaucoup
souffert durant sa vie et pouvait donc espérer recevoir un jour une âme
immortelle.
Le jour de vos retrouvailles, vous vous êtes
promis que, quoi qu’il arrive, vous ne seriez plus jamais séparées. Vous avez
donc parcouru ce monde, proches mais dissemblables. Ta sœur, toujours soucieuse
d’aider et de protéger les autres, avait acquis bien plus vite que toi une âme
humaine. Cependant, il lui a été fait la grâce de rester avec toi, et pendant
tout le temps qui t’a été nécessaire pour gagner ton âme, ta sœur a accumulé un
pouvoir presque sans limite, mais dont elle n’a jamais eu réellement
conscience.
Aujourd’hui, je vous regarde vous éloigner
dans cet hélicoptère. Je devine que vous tentez de vous réconforter l’un
l’autre. Vous croyez peut-être, comme à l’époque, que votre affection mutuelle
pourra vous protéger de tout, de moi comme de votre propre désespoir. Pourtant,
elle ne vous servira à rien.
Car, quoi que vous fassiez, vous resterez
toujours prisonniers de votre première vie, cette vie de sirène qui vous a
laissée ces sentiments destructeurs, mais si délicieux à mes yeux. Toi Hisoka,
dédaigné par ton prince, tu es mort hanté par le dégoût que tu avais de
toi-même et le chagrin de perdre tous tes proches. Rien d’étonnant à ce que,
dans ta dernière vie, tes parents t’aient autant rejeté. De même, Tsuzuki se
laisse toujours ronger par les sentiments des autres, tout comme il a été détruit
par ta propre douleur et son incapacité à la soulager.
Cependant, vous possédez une grande force, et
il ne sera pas toujours simple de vous tromper. Mais j’ai appris bien des ruses
au cours de mes siècles de vie, et je saurais bien cacher mon secret en vous
laissant découvrir quelques soi-disant vérités sur moi, que j’aurais bien sûr
inventées. Aussi je doute que vous puissiez m’échapper, car en dépit de vos
pouvoirs vous semblez si inconscients, si vulnérables.
Non, je suis certain que, dans cette vie ou
dans une autre, je vous retrouverai et que je ne vous laisserai plus partir. Je
vous promets que dès ce jour vous ne serez plus jamais séparés. J’absorberai
vos voix et votre puissance pour que vous restiez avec moi, en moi.
Pour toujours.